C’est tout juste en-dessous du 65ème parallèle de latitude Sud, à une centaine de kilomètres au Nord du cercle polaire antarctique, que se trouve le chenal Lemaire. D’une dizaine de km de long pour 1km de large, il sépare le continent antarctique de l’île Booth. Il a été découvert en 1873-74 par une expédition allemande, puis franchi pour la première fois par l’expédition belge de 1898 dirigée par Adrien de Gerlache. C’est d’ailleurs lui qui nomma ainsi cet étroit chenal en l’honneur de l’explorateur belge Charles Lemaire qui s’est notamment illustré au Congo.
Franchir ce chenal a quelque chose de spectaculaire avec ces falaises abruptes, sombres et menaçantes qui plongent dans une eau anormalement calme (l'eau de ce passage est comme l'eau d'un lac, ce qui est rare dans les mers agitées de l'océan Austral) . Le navire avance lentement et prudemment entre les nombreux blocs de glace qui dérivent sur l'eau . Le passage se fera à l'aube sous une lumière voilée avec un soleil tentant de traverser les nuages.
Cette traversée Nord-Sud permet aux bateaux d'atteindre l'île de Petermann mais très souvent, spécialement au début de la saison estivale, les icebergs obstruent le passage, obligeant les navires à rebrousser chemin et à contourner l'île de Booth pour atteindre l'ile de Petermann.
A la sortie du goulet, nous voyons se profiler l'ile Pléneau, dont la neige est teintée de rouge par une algue microscopique. Ces algues rouges maculent les plaques de neige qui alternent avec les lieux de nidification des manchots papous disséminés ça et là sur toute l’étendue de l’ile
Paul Pléneau était le photographe de l'expédition Charcot de 1903-1905. Ce talentueux preneur d’images, travailla dans des conditions particulièrement difficiles, à demi vouté sous l’ombre de sa pièce de coton fixé à sa chambre noire, par des températures inhumaines. Il relata en photos l’apologie de l’histoire de l’exploration polaire française du plus méconnu et du plus hostile des continents. En hommage à son remarquable travail, Charcot baptisera une île de son nom. C'est d'ailleurs sur les traces celle ci que nous partons en zodiac. En effet, l'une des criques de l'ile de Pléneau fut le théâtre de l'hivernage du bateau "français".
Il reste de cette aventure une cabane magnétique en ruines, un cairn dominant la colline construit par l'équipage juste avant la fin de l'hivernage, et les vestiges d'une baleinière en bois éventré sur la plage. Au sommet de l’île, on peut admirer à perte de vue une étendue d’icebergs échoués, car en raison des eaux peu profondes ces géants de glace viennent s'échouer dans la baie. La baie déploie des formes d’icebergs des plus surréalistes. La glace blanche et bleue se décline en d'innombrables nuances. Ces édifices de glace, paraissant immobiles comme figés par la glace, sont pourtant bien mouvants, ils sont balancées par le rythme des marées, qui les échoue, les retourne et parfois les brise. Nous assisterons même, en direct, à un renversement d'iceberg et à sa fracture. Celui ci ,de taille moyenne et apparemment sans fissure, se met soudain à craquer de toutes parts. Son vacillement devient de plus en plus fort et provoque une onde à la surface de l'eau qui déséquilibre l'iceberg. De gros morceaux de glace se cassent entrainant le renversement partiel de l'iceberg. Un nuage glacé est alors projeté dans les airs, tandis que des morceaux de glace s'écroulent dans l'eau provoquant un mini raz de marée. Magnifique et terrible spectacle qui nous nous fait encore mieux concevoir notre insignifiance face à ces monstres de glace.
Nous serons aux premières loges pour filmer cet événement et ce court extrait de film sera utilisé dans les prochaines croisières pour rappeler aux futurs passagers le danger de trop se rapprocher des icebergs. Voici le lien de la vidéo en question qui a même été diffusé sur TF1 !!
http://philofdrones.com/#/la-chute-dun-iceberg-en-antarctique/
Les seuls habitants de cette île sont les Manchots papou avec environ 500 couples. Les jeunes sont déjà d'une bonne taille, mais loin d'être sevrés. Leurs démêlés avec leurs parents pour obtenir de la nourriture est un spectacle dont nous ne nous lassons pas.














Nous visitons ce cimetière d'icebergs en zodiac ou nous zigzaguons entre d'immenses icebergs sculptés par l'eau et le vent. L'un d'entre eux a la forme d'une tour, fendue en son milieu et dont son cœur est d'un bleu intense. L'une de ces parties tombera un jour ou l'autre dans l'eau .
Un autre ressemble à une gigantesque arche, mais interdiction de passer dessous, trop dangereux car à tout instant l'iceberg peut se casser. Nous en aurons la preuve en assistant près de la plage de débarquement, au retournement et à l'effondrement d'un immense iceberg.
Ces plate forme de glace attirent de nombreux phoques : phoques de Wedell ou phoques léopards. Nous croisons un phoque léopard se prélassant au soleil avant une future chasse (c'est le prédateur redouté des manchots)
Un phoque de Wedell nage à cotés de nous, semblant très intrigué par cette "chose sur l'eau"
Dans l’après midi nous naviguons de nouveau vers le Nord pour gagner la baie Paradis en bordure de le terre de Graham. C'est alors que nous faisons de nouveau une belle rencontre marine: des orques viennent nager autour du bateau. C'est une vision saisissante que de les voir ainsi en liberté avec leur nageoire dorsale acérée filant dans l'eau à quelques mètres de nous.
En fin d'après midi nous débarquons dans une station scientifique. Ce sera la seule opportunité de ce type durant notre croisière de rencontrer des personnes. Il s'agit d'une base chilienne appelée Gonzalès Videla, du nom du président chilien, par ailleurs, premier chef d'état à avoir visité l'Antarctique. C'était en 1948.
Nous sommes accueillis par les membres de cette petite délégation chilienne qui nous fera découvrir ses bâtiments, ce sera aussi l'occasion pour nous de faire des emplettes, un petit souvenir acheté à 65° de latitude, ça vaut de l'or. Et bien sur, nous croiserons les habitants manchots qui tiennent compagnie aux personnes basées sur l'ile pendant tout l'été.
Au retour sur le bateau, encore une magnifique rencontre avec une baleine venue nous saluer et nous dire au revoir en venant tourner autour du zodiac, malgré son poids gigantesque, elle nous offre un ballet tout en grâce.