Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, pas de grasse matinée qui tienne aujourd'hui; les premiers débarquements sont prévus à 5h45
Les lève-tôt voient partir le premier zodiac. A son bord, Nicolas Dubreuil, le chef d'expédition et Samuel son assistant. Comme à leurs habitudes, ils vont repérer les lieux pour vérifier la sécurité du site. Ce sera la longue plage de sable noir qui s'étend au pied de la montagne de Baily Head. Ce nom désigne une falaise volcanique de 200m, tellement battue par les vents et la mer que la neige qui tombe ce matin ne peut s'y accrocher. Au retour du zodiac, mauvaise nouvelle: il y a trop de houle pour débarquer; une fois encore c'est L'Antarctique qui impose sa loi. Néanmoins, le reste du programme est maintenu: il n'est pas question que l'ile de la déception reflète la réalité de cette journée.
Vers 8h, le Diamant fait son entrée dans le "Soufflet de Neptune". appelé aussi par les marins "la porte de l'enfer"car de nombreux navires se sont échoués par le passé. Il s'agit d'un étroit passage qui mène au cœur de l'ile. En effet, celle ci est comme creuse. Ancien volcan, elle a vu son cratère s'effondrer dans la mer, créant de ce fait une immense caldeira. Ce vaste bassin intérieur constitue l'un des ports les plus abrités du monde Antarctique.. Nous pourrons donc y mouiller sans problème.
Après une navigation prudente, la caldeira se dévoile sous nos yeux. Il y a une autre vaste anse secondaire "Whalers Bay" (la baie des baleiniers) ainsi nommée par le commandant Charcot. Lorsqu'il passa en 1908, l'activité baleinière y était encore intense.
Cette baie était connue et fréquentée dès le début du 19ème siècle par les marins qui y trouvaient refuge lors des tempêtes, puis grâce à sa situation géographique elle attira les baleiniers qui se servaient de l’île de la Déception comme base pour se ravitailler et traiter les baleines chassées en Antarctique. Une véritable industrie se mit alors en place au début du 20ème siècle avec la construction de chaudières et d'énormes citernes afin de fabriquer et conserver cette huile très convoitée à cette époque. En 1932, lors de la grande dépression, devant la baisse du prix de l'huile de baleine et de la mise au point de nouvelles technologies, ces impressionnantes installations qui avaient à peine 20 ans furent tout simplement abandonnées.(ce qui a permis probablement de sauver de nombreuses espèces de mammifères marins)
Le site fût alors occupé par les britanniques puis suite au traité de l'Antarctique, l'île devint une terre consensuelle, accueillant des bases scientifiques. Plusieurs éruptions volcaniques (la dernière datant de 1969) détruisirent ces bases ainsi que le cimetière de l'île où 45 hommes étaient enterrés.
Le site a quelque chose de sinistre, de lugubre, avec sa vieille usine de traitement des huiles, dont il ne reste que des citernes rongées par la rouille, des cuves de fer s’enfonçant au fil des ans dans le sol… Partout, on observe des restes de l’occupation humaine. Ici un enchevêtrement de tuyaux provenant d’une ancienne chaudière, là de vieilles bicoques au bord de l’effondrement, des bâtiments d’habitation qui renferment encore du matériel, à l’image de ce vieux poêle à bois. Comme si les hommes avaient subitement tout quitté, tout abandonné.
Sur la plage, il reste aussi quelques antiques baleinières, et à y regarder de plus près, de nombreux os de cétacés, que l’on confond d’abord avec des morceaux de bois polis par le temps. Ces ossements témoignent d’un véritable massacre qui a eu lieu dans cette région un siècle plus tôt, lorsque des milliers de baleines étaient tuées, leur huile servant notamment aux lampes, y compris des éclairages publics de grandes villes, ainsi qu’au chauffage et dans certains cas à la lubrification des machines.
Les ruines de la grande station baleinière sont aujourd’hui un témoignage de l’histoire, de cette époque où des hommes, dans des conditions matérielles sommaires, venaient affronter l’Antarctique et y risquer leur vie pour gagner un peu d’argent et apporter le « confort moderne » aux populations, notamment européennes. Une époque où, évidemment, la protection de l’environnement n’entrait pas dans l’équation sociétale.
Photo d'époque de dépeçage de baleine
Pour les courageux, randonnée pour atteindre le sommet de la baie située à 300m d'altitude. Un fort vent froid de face ralentit l’ascension mais n'altère pas notre motivation. Le début du parcours est presque plat, arrivés au pied du relief, nous empruntons une vallée assez resserrée, presque une gorge. La neige fait son apparition sur le chemin mais, peu profonde et de bonne consistance, elle n'entrave pas notre ascension.
Nous sommes à mi pente et les difficultés commencent: le vent se fait plus violent et découvre de plus en plus de surface d'un terrain fait de cendre et d'une croute de glace, la pente s'accentue et la file de randonneurs s'étale, certains ont du mal à suivre. Mais au final, tout le monde parviendra au sommet pour profiter de la vue sur la caldeira, dommage, il manque le ciel bleu.
Tout en bas notre bateau au mouillage donne l'échelle du paysage. En fait de sommet, nous sommes arrivés sur un plateau d'allure désertique: rien ne vit, rien ne pousse sur ce sol glacé; même la neige ne tient pas, tant le vent est violent. Nous pouvons découvrir l'autre coté de l'ile (la ou nous devions initialement débarquer) Loin en dessous, la fameuse colonie de 100 000 manchots à jugulaire dans un amphithéâtre naturel. Ça valait vraiment la peine de faire cette ascension, chacun grave à sa façon l'instant dans sa mémoire, numérique ou biologique ou physique.
Puis le Diamant fait de nouveau route vers le Sud et nous quittons notre dernière escale des Shetlands du Sud pour nous diriger vers le détroit de Gerlache. Peut être y chasserons nous la baleine avec la seule arme dont nous disposons: nos télé objectifs!
Dans l'attente d'une belle rencontre, nous assistons à une conférence sur un grand marin ayant exploré ces lieux au début du XXe siècle: Jean Baptiste Charcot, le gentlemen polaire.














Dans la soirée, une annonce du commandant: "tout le monde sur le pont, baleines à tribord !!! " nous nous précipitons sur la passerelle pour admirer un couple de baleines à bosse avec un petit, tranquillement occupés à se nourrir de krill. Le bateau suit les circonvolutions des animaux; curieux, ils s'approchent de plus en plus de nous, jusqu'à passer sous l'étrave. Pendant une heure, nous observons, fascinés, le ballet de ces 3 cétacés montrant tantôt leur dos et leur queue, tantôt leurs longues et blanches nageoires pectorales. L'une des 2 adultes nous offrira son plus beau sourire pour nous dévoiler sa gueule grande ouvert et un bout de langue. Tout le monde est sous la magie de l'instant, aucun bruit si ce n'est les clics des appareils photo et les exclamations de joie des passagers. Encore un moment unique que l'Antarctique a bien voulu nous offrir