Nous bénéficions ce matin d'une véritable grasse matinée puisque le 1er débarquement n'est prévu qu'à 8h. Nous sommes face à l'île Paulet, une minuscule île volcanique abritant 100 000 couples de manchots. Les précipitations tombent dru, entre pluie et neige, la température extérieure est 0°C, mais on savait en venant ici, qu'on ne serait pas aux tropiques.
L'équipe d'expédition nous propose de faire une boucle autour de la colline qui borde la plage. Cette belle promenade de 2 heures mêlera l'histoire, la faune et les paysages spectaculaires
Le débarquement comme d'habitude se fait en zodiac, le pilote cherchant un passage entre les nombreux icebergs qui flottent sur l'eau. Plus nous approchons, plus nous réalisons la dimension de la colonie: des milliers de manchots se pressent sur le peu d’espace disponible de la plage. Sur plus d’un kilomètre de longueur il n’y a aucun espace libre. Enfin nous en trouvons un peu pour débarquer. Nous arrivons dans une cacophonie qu’il faut vivre car elle est indescriptible. Des manchots à perte de vue, s’appelant les uns les autres de leur cris rauques ce qui crée une ambiance sonore d’un autre monde.
Quel spectacle, nous pourrions rester assis des heures durant dans le froid à observer ces manchots qui ne font même pas attention à ces drôles d'animaux tout rouges. Ils passent devant nous sans même nous regarder et continuent inlassablement leurs chasses à la nourriture pour récupérer du krill et nourrir leurs petits, font des aller-retour de la mer à leurs nids (ce qui leur demande beaucoup de temps car sur terre, ils ne sont pas très habiles) , se chargent sans relâche de nourrir leurs petits par régurgitation du krill, se chamaillent entre eux pour protéger leurs territoires et combattent perpétuellement pour survivre dans ces lieux hostiles et protéger leurs petits qui sont des proies privilégiées pour les prédateurs.
Chaque passager respecte les consignes de protection de l'environnement données par les membres de l'expédition, à savoir ne rien ramener à bord (pas même un petit caillou car il pourrait servir à la confection des nids du fait qu'ici il n'y a pas de lichens et les pierres sont le seul moyen de protéger le nid du froid et de l'humidité du sol), ne pas s'approcher des phoques et otaries qui pourraient devenir agressives, ne pas toucher les manchots et respecter une zone de distance entre nous et leurs nids et surtout laisser le site tel qu'il était avant notre arrivée (si besoin urgent de toilette, un zodiac nous ramène à bord du bateau). Tout cela dans le but de limiter au maximum l'impact de l'homme sur ces régions isolées.
La minuscule île volcanique de Paulet présente un attrait tout autant naturel que historique.
Au début du XXème siècle, elle abrita l’équipage de "l'Antartic" parti recueillir la mission scientifique du suédois Nordenskjöld déposée sur Snow Hill. Mais le bateau, pris dans les glaces, coula et les hommes furent contraints de construire sur l’île Paulet un abri de pierres pour hiverner. Nous découvrons les ruines de cette cabane de 70m2, dans laquelle ils vécurent à 20 pendant 8 mois dans des conditions terribles de froid extrême. Un seul homme survivra de ce naufrage. Difficile d'imaginer de vivre dans un tel endroit, alors que malgré nos habits techniques, au bout de 2 heures nous avons hâte de nous retrouver au chaud à bord du Diamant...
On rencontre de nombreuses colonies de manchots papoues reconnaissables par leur tête noire ornée d'une couronne blanche et de leurs becs orange. Leurs petits sont de vrais peluches qui donnent envie de les caresser.
Alors que les manchots Adélie ont la tête toute noire et de grands yeux blancs; leurs petits sont comme des gros poussins malhabiles, recouverts d'un duvet marron qui parfois commence à disparaitre et leur donne un air de junkie.
En poursuivant notre promenade, nous montons facilement sur un petit plateau puis en haut d'un col d’où nous avons une vue sur la colonie et aussi sur un lac d’origine volcanique. Et là encore, des manchots et encore des manchots; il y en a à perte de vue mais plus on s'éloigne de la côte, plus la concentration de manchots diminue car les "places" les plus prisées sont celles qui sont le moins loin de la mer (cela réduit les temps de parcours et de fatigue entre les va et vient perpétuels de pêche au krill)
La dernière partie du parcours longe la plage entre névés et cailloux.Nous y croisons des phoques de Wedell et des otaries et surtout nous y faisons une nouvelle rencontre: des cormorans aux yeux bleus dits aussi cormorans de l'Antarctique.
Nous apercevons aussi , légèrement au dessus de la plage, la tombe du seul homme de l'expédition,décédé pendant l' hiver passé ici. Les manchots sont indifférents à la solennité de ce lieu vieux de plus 100 ans et ils grimpent allègrement dessus
C'est sur une mer plus calme que nous regagnons le "Diamant" pour une après midi paisible de navigation au milieu des icebergs. Mais c'est sans compter sur la passion du commandant Garcia, pas question de rester tranquille sur le pont, mieux vaut aller au plus près des icebergs pour profiter du panorama des glaces et nous voila partis en zodiac pour sillonner au milieu des glaces.
Quel spectacle, difficile de décrire l'émotion ressentie dans ce dédale de glace et de banquise disloquée dans lequel nous nous faufilons. Aucun bruit; pour profiter de cette ambiance, les zodiacs ont coupé leurs moteurs, c'est le silence autour de nous: les seuls bruits que nous entendons sont le clapotis de l'eau sur les coques de bateau, le froissement de la neige sur laquelle glisse un phoque, le craquement sinistre d'un iceberg qui se fend et lâche dans la mer des blocs de glace.
Toutes les nuances du bleu sont présentes: bleu turquoise, bleu vif, bleu azur, bleu vert, bleu intense; il ne manque que le bleu du ciel pour compléter cette symphonie de couleurs..
Seules taches plus sombres au milieu de ce dégradé de bleu: un phoque crabier rêvassant sur la banquise, un phoque de Wedell intrigué par notre présence et quelques manchots Adélie, perdus au milieu de cette immensité de glace et qui plongent dans l'eau dès qu'ils nous voient arriver.
Et pour clôturer cette sortie inoubliable, débarquement directement sur la banquise à même la glace. Les zodiacs montent sur la banquise comme on passe à l'abordage, gare à la secousse à l'arrivée. Puis nous éprouvons de nos bottes la solidité d'un sol insolite: nous sommes sur la mer recouverte d'une épaisse couche de glace de 1,50m: la banquise. Bizarre sensation de se dire que l'on marche sur l'eau.
Pour clore cette rencontre avec la banquise, le commandant Garcia vient littéralement "embrasser" la banquise: dans une lente progression, le navire vient toucher délicatement de son étrave, la bordure neigeuse qui s'effrite en copeaux blancs. Spontanément, tous les passagers applaudissent !!
Puis tout le monde remonte à bord pour la suite des aventures.
Nos premiers pas sur une banquise, seulement 1,50m de glace nous sépare des profondeurs de l'océan, brrr, il ne faudrait pas que ça craque ...