DIMANCHE 16 AOUT: AUMONT AUBRAC- NASBINALS
ÉTAPE DE 28KM
Mon intention du jour: Malgré mes certitudes, subsistent quand même le doute et la crainte de ne pas arriver à faire autant de kilomètres.
Le seul moyen de savoir jusqu’où je peux aller, c’est de me mettre en route et de marcher.... ALLEZ COURAGE
Ayant dû abandonner le chemin l’année dernière, 4 jours après mon départ du Puy en Velay suite à une grosse entorse, je décide de reprendre le chemin, là ou je me suis arrêtée, à Aumont Aubrac. Il me faudra déjà une journée de transport, après de multiples changements de trains et de bus pour arriver à destination et l’impatience et l’excitation du départ rendent ce trajet d’autant plus long!
Ma première nuit passée dans un gîte proche d’Aumont, je me lève aux aurores pour profiter de la fraicheur matinale et des premières lueurs de l’aube qui magnifient le paysage. Me voilà arrivée sur le mythique plateau de l’Aubrac, haut plateau volcanique et granitique français situé dans le centre du Massif central et aux confins des trois départements de l'Aveyron, du Cantal et de la Lozère. De par son altitude situé à 1200m, le climat peut être rude et en une journée, on peut vivre les 4 saisons.
L’Aubrac, c’est un paysage s’étendant à perte de vue, doucement vallonné, sans sommets acérés mais seuls quelques sommets d’origine volcanique pouvant se détacher au milieu des estives, et partout, à perte de vue sans aucun obstacle visuel (genre ligne à haute tension, immeuble…) d’immenses steppes délimitées par des murets en pierre et surmontés de fil barbelé. Ce sont les “drailles” anciens itinéraires de transhumance et également lieux de passage des milliers de pèlerins depuis des décennies. Ces "drailles" constituent les limites des chemins et des parcelles, elles permettent, aussi, après des périodes de pluies qui font remonter les pierres du sol, de récupérer de la terre à fourrage, en les supprimant.
Ce paysage semble inchangé depuis des siècles, étant à l’écart des grandes voies de communication, il a su garder son authenticité et la rudesse de son climat l’a longtemps rendu inhospitalier. Je ne rencontre personne et je me sens seule au monde, libre, et en parfaite harmonie avec cet environnement qui m’accueille
Mon passage ne semble pas déranger ces habitantes du plateau, les célèbres vaches de l’Aubrac, blondes aux cornes effilées et aux yeux maquillés d’un trait de kool. Ces vaches sont des bêtes à viande qui vivent en autonomie sur les estives et profitent des pâturages
Tout au long du chemin, les croix sont autant de signes et de guides pour le pèlerin. Ces croix très nombreuses, en bois, en pierre ou en métal, témoignent de l’impact de la christianisation et de la ferveur de la foi chrétienne dans ces régions. D’une grande diversité, elles ont une utilité bien précise:
Les croix de dévotion implantées sur les hauteurs dominant les bourgs et villages, il s’agit souvent des calvaires, des croix de pèlerinages.
Les croix de carrefours peuvent également être des lieux où passent les processions sur la voie des convois funéraires.
Les croix en bordure des chemins et aux croisements indiquent la direction mais peuvent aussi avoir des fonctions de croix mémorielles, c’est-à-dire qu’elles ont été érigées à un endroit précis, en mémoire soit d’une personne, soit d’un événement en relation avec le lieu d’implantation. Les croix de défunts. Souvent au pied de ces dernières se trouve une pierre plate en forme de socle, ceci servait à déposer le cercueil des défunts lors de procession funèbre avant l’existence des corbillards. Enfin, les croix de limite, signalant l’entrée et la sortie d’un village ou délimitant les propriétés en bordure de parcelles cultivées.
Pont de Gournier, enjambant la rivière Bes, presque à sec avec la canicule
La fin de l’étape approche, au loin se découpe le village de Nasbinals , première étape de mon voyage en plein cœur de l’Aubrac lozérien.
Ce village, étape incontournable sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle voit des milliers de pèlerins chaque année arpenter ses ruelles. Petit par la taille mais grand par l'esprit, Nasbinals est un carrefour où l'on se croise et où l’on retrouve des compagnons de route que l’on avait croisé auparavant et que l’on avait distancé. Avec son clocher octogonal, l'église romane domine la place. Elle guide les pèlerins et les accueille pour leur permettre de se recueillir.
Cette église date du X-ième siècle, ses murs et son toit ont résisté aux intempéries, preuve vivante du savoir faire de nos anciens bâtisseurs
28Km parcourues depuis Aumont
LUNDI 17 AOUT: NASBINALS- COUVENT MALLET
ÉTAPE DE 32KM
Mon intention du jour: Recentrer mon attention pour rester présente à ce qui arrive , afin de vivre l’instant présent
Aujourd’hui je vais m’efforcer de profiter de chaque instant et remercier la nature des cadeaux qu’elle nous offre mais pour cela, je dois abandonner toutes mes certitudes et voir ce qui m’entoure comme si je découvrais chaque chose pour la première fois, sans avis, sans à priori, avec un regard neuf . Ainsi, marcher en pleine conscience, en gardant tous les sens en éveil rend les paysages encore plus merveilleux !
Un peu partout sur le plateau ,on trouve des sortes de petites maisons de pierres semi-enterrée en toit de lauze : ce sont les burons. Ces habitations étaient et sont parfois encore utilisées pour abriter la production de fromage pendant la saison estivale.
Robustes, les burons sont pourtant sujets à de nombreux dommages dus aux rudes conditions climatiques sur le plateau de l’Aubrac mais surtout, depuis la dernière moitié du XXème siècle, à leur délaissement de la part de leurs propriétaires.
Des dizaines de bâtiments ont ainsi disparu du paysage.
Leurs ruines parsèment ici et là les montagnes. Les burons luttent contre le temps dans un combat inégal, à l’issue hélas prévisible pour beaucoup d’entre eux.
Les points faibles des burons sont souvent à l’origine des dégradations.
Tout d’abord, lorsqu’ils sont attaqués par le vent et la neige chaque hiver. Quand l’eau s’infiltre par une lauze ou une ardoise déplacée, les poutres pourrissent, puis la charpente finit par s’effondrer. L’eau s’infiltre aussi dans les murs pignons, dans la maçonnerie de la voûte. En un rien de temps, c’est le buron tout entier qui tombe à terre.
Les animaux sont aussi à l’origine de la démolition des burons. Les vaches très nombreuses l’été fréquentent les abords des burons désormais sans vie et qui ne bénéficient pas de clôture de protection. Quand la couverture d’un buron descend près du sol, les bêtes tentent de l’escalader, elles se grattent aussi parfois contre le bâtiment au risque de desceller quelques pierres.
En arrivant à Aubrac il y a une stèle sur laquelle est inscrit « Dans le silence et la solitude on n’entend plus que l’essentiel ». Belle devise mais qu’est-ce que c’est que l’essentiel ? Est-ce que c’est « quand est ce que j’arrive? », « ou est ce que je vais dormir ce soir ? », « J’’en ai assez, j’ai mal aux pieds! »…. Qui sait, peut-être que plus loin sur le Chemin j’entendrai l’essentiel, un essentiel moins terre à terre.
L’entrée du village Aubrac, est signalée par une sculpture contemporaine, née de la rencontre entre un Auvergnat et un Alsacien, passionnés par les traditions régionales et les chemins de St-Jacques-de-Compostelle.
Aubrac est le plus haut village du plateau (1 303 m), il ne compte qu’une dizaine d’habitants mais il accueille des milliers de touristes!
Jusqu’au XIe siècle, l’Aubrac était couvert de profondes forêts où se cachaient des brigands qui attaquaient les pèlerins venant du Puy-en-Velay et se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Le rude climat et l'insécurité incitèrent les moines, à fonder une abbaye dans ce petit village, afin d’y protéger les pèlerins. Elle fut construite par les moines en 1120. Ces derniers, commencèrent à défricher l’espace forestier autour de l’abbaye, puis dans un rayon de plus en plus étendu. Les terres déboisées, trop hautes en altitude pour une bonne culture de, céréales, mais riches en herbages, plus propices à l’élevage, devinrent alors des terres d’élevage. C’est ainsi que naquit la race bovine Aubrac composée d’animaux, autonomes et particulièrement résistants aux aléas climatiques. Depuis, l’élevage bovin demeure le socle dur de l’activité économique de l’Aubrac.
A partir d’Aubrac, on quitte ce magnifique plateau pour entamer la descente dans la vallée du Lot , les étendues pelées et sauvages du plateau laissent place à des paysages devient beaucoup plus verdoyants avec de vraies prairies, des arbres. On a changé de région, ça sent « le sud ». Les villages deviennent plus fréquents et les vieilles bâtisses témoignent d’une ancienne vie active dans ces villages, désormais abandonnés. De nombreuses portes sont surmontées de ces encadrements en arc en pierre taillée, témoignant du savoir-faire à l’époque des tailleurs de pierre.
Et on fait parfois des rencontres insolites sur le chemin… Que de différences entre lui et moi, il était en sandale tous les jours, avec son bâton en bois, sa cape et son baluchon; Moi avec mon sac et mon équipement technique, c’est un autre monde !
Le pont dit “ des pèlerins ” sur la Boralde à Saint-Chély-d’Aubrac.
On appelle boraldes les petits cours d’eau de l’Aubrac qui rejoignent le Lot sur sa rive droite. Ce pont, datant du XIVème est inscrit sur la liste du patrimoine mondial. C’est le seul pont permettant le franchissement de la Boralde par les pèlerins. Le pont représente un symbole fort dans la religion catholique : celui du passage de la terre au ciel… d’où la présence fréquente de croix sur ces édifices.
Une pause pique-nique, au bord de l’eau, les pieds dans l’eau me redonnent du courage pour repartir et entamer les 16 derniers kilomètres.
Après Saint-Chély le chemin est agréable, pas trop accidenté, beaucoup d’ombre, pas de goudron. Je traverse une magnifique forêt de hêtres dans laquelle je ne peux m’empêcher de faire une pause, ces arbre, témoins du passé, s’agrippant fermement à la terre avec leurs racines qui s’étalent dur des dizaines de mètres ont beaucoup d’histoires à me raconter. Mais je dois rapidement interrompre cette pause méditative car la route est encore longue avant ma destination finale: le couvent de Malet.
Il est tenu par des Ursulines, il a été entièrement rénové et transformé en gîte pour accueillir les pèlerins. Ce sera une grande première pour moi, je n’ai jamais dormi dans un couvent, faudra t’il faire une prière avant le repas? , faudra t’il assister à la messe? Mes convictions religieuses ne m’incitent pas trop à le faire!
En fait, je suis agréablement surprise par l’accueil de ses Ursulines qui, dans un premier temps règlent les affaires administratives pour ensuite proposer aux pèlerins des boissons fraîches et même de la bière, ultime récompense du pèlerin, épuisé et dégoulinant de sueur.
60Km parcourues depuis Aumont
MARDI 18 AOUT: COUVENT MALLET- ESTAING
ÉTAPE DE 15KM
Mon intention du jour: M’habituer à reconnaître le caractère si précieux de chaque journée et saisir ce que la vie m’offre
Alors que le gîte semble encore endormi et qu’un silence religieux règne dans les couloirs, je démarre ma journée par la découverte du village voisin, Saint-Côme- d’Olt, village reconnu comme l’un des plus beaux villages de France (il ne sera pas le seul sur mon parcours, de nombreux villages méritent ce label). Au passage j’apprends que le «Olt » qui complète nombre de noms de villes de la région est en fait le nom occitan de la rivière qui les traverse. Les Français la rebaptisèrent Lot soit disant pour simplifier. Donc « d’Olt » signifie « sur Lot », et réciproquement !
La caractéristique de ce village, c’est son clocher vrillé (On ne sait pas si la spirale a été voulue par les constructeurs ou si elle a vrillé sous l’effet de la charpente) mais aussi le charme de ses rues bordées d’anciennes demeures du moyen âge, en bon état de conservation ou restaurées.
A la sortie du village de Saint-Côme d’Olt, il y a 2 possibilités de chemins, soit le GR traditionnel, qui grimpe sur les collines, garantissant de merveilleux points de vue (Saint Côme d’Olt dans un premier temps puis de l’autre côté de la colline, la vallée d’Espalion), soit le chemin “express” qui longe le Lot en bordure de route.
Sans hésitation, je choisis la première option, d’autant plus que ce chemin débouche sur une pure merveille: la chapelle de Perse, une petite chapelle romane datant du XIe siècle, entièrement construite en grès rouge.
L’arrivée à Espalion est troublante; cette ville très touristique me plonge dans le tumulte de la ville, avec des embouteillages, des bus, des personnes pressées, transportant des caddies ou des sacs à mains, alors que jusqu’à ce jour, je n’ai fait que croiser des vaches et des randonneurs avec de lourds sacs à dos. Le contraste est saisissant et ne me donne pas envie de retourner à la civilisation.
Je profite quand même de mon passage dans cette ville pour visiter la cathédrale, faire quelques courses de nourriture au marché et visiter les abords de la ville. Mais j’ai hâte de retrouver le rythme calme du marcheur.
Une statue de scaphandrier, a été édifiée en hommage aux inventeurs espalionnais, ayant inventé en 1864 le premier scaphandre autonome moderne de l'histoire de la plongée. Les premiers essais furent effectués dans le Lot. Jules VERNE s'est d’ailleurs inspiré de leurs appareils pour équiper le Capitaine Nemo, dans son roman 20 000 lieues sous les mers.
En chemin, je retrouve Philippe, mon compagnon de route depuis plusieurs jours et nous continuons ensemble jusqu’à l’étape suivante: Estaing, et là je lui promets que je me baignerai dans le Lot, il fait trop chaud !! En fait, je ne pourrai pas tenir pas ma promesse car le fleuve est presque à sec et je peux juste faire un bain de pieds, mais quel bonheur, alors que pendant ce temps, Philippe, à l’ombre des arbres, savoure son pâté de campagne et sa tarte aux myrtilles (ça, c’est sa version, car en fait c’est une tranche de pain avec de la confiture dessus !!!)
Estaing; y a t’il un lien avec notre ancien président? Eh bien oui: après avoir acheté une particule (auprès du Conseil d’État) en 1922, la famille de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing a fait l’acquisition en 2005 du château d’Estaing, qui auparavant appartenait à une communauté religieuse. L’ancien président ne vient que deux fois par an dans son château: lors des journées du patrimoine en septembre, et lors de la fête de la saint Fleuret (le saint patron du village) le 1er dimanche de Juillet… Le château est accessible à la visite mais je me contenterai de visiter le village, qui attire énormément de touristes (là encore, c’est le plus beau village de France, encore un)
Estaing et ses vieilles ruelles, ses belles façades datant des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, son église qui abrite les reliques de Saint-Fleuret. Construite au XVe siècle, elle est classée monument historique
Comment reconnait-on un pèlerin?
Facile; d’abord son look de randonneur et l’odeur de furet qu’il dégage à la fin de son étape, la coquille qui l’accompagne tout le long du chemin et qu’il brandit fièrement, son bâton appelé buron, utilisé comme un outil de marche et une arme défensive contre les chiens errants, un énorme sac à dos (pour les plus courageux; certains préférant utiliser la malle postale qui leur transporte leur sac d’une étape à l’autre, mais est vraiment cela le chemin?) des cheveux en bataille et des poils aux pattes pour les filles, une tenue digne d’un défilé quand elle n’est pas agrémentée de la cerise sur le gâteau: la cape de pluie qui la transforme en véritable manchot ; mais le plus important c’est son regard pétillant de vie et de bienveillance, et ça, ça n’a pas de prix et ça fait oublier tout le reste! Ah ! j’oubliais, la banane, accessoire très moche mais très utile
75Km parcourues depuis Aumont
MERCREDI 19 AOUT: ESTAING- CAMPUAC
ÉTAPE DE 15KM
Mon intention du jour : Ne laisser aucune place aux pensées négatives, même insignifiantes et dès qu’elles émergent, les remplacer par des pensées positives qui les discrédite
Rendez vous avec Philippe au café du coin à 6h pour un départ avant les grosses chaleurs, nous attendrons en vain la livraison de croissants que le boulanger doit livrer en camionnette, mais rien ne vient, aussi nous partirons le ventre vide.
Au départ d’Estaing, il y a 2 options: le GR65 longeant le Lot et très goudronné ou le GR6, voie historique de saint Jacques, commençant par une rude montée. Nous choisissons cette dernière option et nous voilà partis, laissant derrière nous Estaing, encore endormi, avec son château qui tente d’émerger des brumes matinales et de consolider sa force, sa présence.
Départ difficile car la montée est raide mais nous sommes récompensés par un superbe point de vue et une magnifique lumière qui m’oblige à faire de nombreuses pauses photo et à me laisser distancer par mon compagnon de route que je retrouverai un peu plus tard, attablé en train de prendre son petit déjeuner et sa fameuse tarte aux myrtilles.
De nombreuses fermes abandonnées subissant les dommages du temps, du matériel agricole croupissant dans les hangars ou dans les champs; cette campagne qui devait être très active il y a quelques années, est devenue campagne morte; seuls subsistent quelques paysans tentant de vivre de leurs travaux agricoles et côtoyant des propriétaires de maisons secondaires achetées en ruine et rénovées pour devenir des maisons de vacances.
Arrêt ravitaillement à Campuac et déjeuner dans le café du village. Puis de nouveau, avec Philippe, nos chemins se séparent, nous dormons dans des gites différents. Je ferai étape dans une ferme, la ferme de Barthas. Arrivée tôt, je prendrai le temps de réserver mes futurs hébergements pour les jours à venir car contrairement à ce que je pensais, il y a beaucoup de monde sur le chemin et il est difficile de se loger au jour le jour.
90Km parcourues depuis Aumont
JEUDI 20 AOUT: CAMPUAC- CONQUES
ÉTAPE DE 21KM
Mon intention du jour: Poser un regard bienveillant et sans jugement sur les personnes que je rencontre
Départ à la frontale, il est 6 heures, les jours commencent à diminuer et il fait encore nuit mais marcher de nuit, avant le lever du jour ajoute encore un peu plus de magie et de mystère; les ombres des arbres semblent parfois menaçantes, mais la lueur du soleil qui commence à pointer a l’horizon apporte du réconfort et je savoure ce spectacle de la nature qui s’éveille au son de mes pas. Certains vont penser que je suis folle de partir de si bonne heure, comme le fait de partir marcher aussi longtemps, seule, avec juste le minimum vital dans mon sac, alors que je pourrais me prélasser au bord de la mer ou tout autre chose. Mais lorsque je marche, je suis bien, tout simplement, alors laissons les gens penser ce qu’ils veulent!
La campagne aveyronnaise déroule ses hautes collines boisées, elle abrite des petits hameaux de maisons en pierre grise, recouvertes d’ardoises épaisses, certaines en ruine, d’autres en cours de rénovation et des granges disséminées dans les prairies. Cette campagne semble attirer de plus en plus en plus de citadins en mal de calme et d’authenticité au vu des maisons en cours de restauration.
Traversées de Campagnac, du hameau du Soulié. Pause à Sénergues, avant d’entamer la descente vers Conques sur un chemin raviné avec des pierres, des rochers, des racines et m’obligeant à ralentir et à me faire patienter, j’ai tellement hâte de découvrir cette perle dont tout le monde parle: Conques la Belle, halte majeure sur le chemin de Compostelle depuis le XIe siècle. Je savoure mes derniers moments de solitude sur ce chemin mythique où des milliers de personnes passent chaque année depuis 5 siècles. Puis soudain, à travers l’échancrure d’une haie, le joyau apparaît dans toute sa splendeur: l’abbatiale Sainte-Foy, chef-d’œuvre de l’art roman (XIe siècle), inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Malgré la crise sanitaire liée au covid19, de nombreux touristes se mêlent aux pèlerins.
Gîte et couvert à Accueil Spirituel de l’abbaye de Sainte-Foy, à Conques mais l’accueil n’ouvre qu’à 14h. J’en profite pour aller me restaurer. Lorsque je reviens un peu plus tard, il y a déjà des dizaines de pèlerins qui attendent l’attribution de leurs chambres ou dortoirs (cette fois, j’ai opté pour une chambre seule sans ronfleurs intempestifs) et je retrouve des personnes que je connais. il y a beaucoup de pèlerins qui logent dans ce gîte, le nombre de bâtons en témoigne.
A 20h, comme beaucoup de monde, je suis devant la porte de l’Abbatiale, pour assister à la mise en lumière du tympan. Frère Jean-Daniel nous décrit le tympan du jugement dernier, sculpté au-dessus de la porte d’entrée de l’Abbaye, c’est une véritable bande dessinée du bien et du mal, de la pesée des âmes, du paradis et de l’enfer et son récit est ponctué d’humour.
Je retrouve avec bonheur des personnes rencontrées sur le chemin: Marie, Marie Armelle, (qui était sur le point d’abandonner mais que je parviendrai à convaincre à poursuivre avec moi , et nous ne le regretterons pas car nous passerons d’excellents moments ensemble) Julien, Roseline, Maryse… et tant d’autres ! Le hasard nous a mis sur le chemin souvent au même moment, nous nous connaissons depuis seulement quelques jours mais déjà, nous nous apprécions beaucoup. Mais les rencontres se font et se défont et les belles rencontres deviennent alors des séparations difficiles car beaucoup de pèlerins s’arrêtent à Conques. Je sais que je ne les reverrai certainement plus mais elles resteront dans mon cœur.
En 1994, Pierre Soulages a répondu à une commande publique, à l’initiative de Jacques Lang, pour créer des vitraux contemporains au sein de cette église romane, et cela a entrainé beaucoup de polémiques et de contestations. Mais aujourd’hui, les réfractaires sont fiers de ce chef d’œuvre. Pierre Soulages voulait un verre translucide et non transparent. Or un tel verre n’existait pas, il a fallu l’inventer. Au final, Pierre Soulages mit des années à mettre au point ce verre incolore, blanc, non transparent mais translucide, car il voulait que la lumière soit prise dans le verre et devienne émetteur de clarté.
111 Km parcourues depuis Aumont
VENDREDI 21 AOUT: CONQUES- LIVINHAC
ÉTAPE DE 26KM
Mon intention du jour : Arrêter de m’inventer des peurs injustifiées car la crainte de ce qui pourrait arriver est pire que ce qui arrive réellement
Aujourd’hui je ne suis pas très matinale, je quitte le gîte à 7h avec mes compagnons de marche Philippe, Marie et Marie Armelle. Dès la descente au bas du village par la rue Charlemagne, une ruelle pavée et fortement pentue, les touristes s’évanouissent dans la nature. Là, il n’y a plus d’échoppes ni de bazars. Fini les touristes, fini les talons aiguille sur le parvis de l’abbatiale, il n’y a plus que des gros souliers qui avancent vers le vieux pont romain, classé monument historique. Sur le versant opposé, on entrevoit la chapelle Sainte-Foy qui fait face à sa grande sœur l’abbatiale et surtout la montée qui nous attend. Malgré la courte nuit et les festivités de la veille (c’est un bien grand mot, au lieu d’être couchée à 20h, je me suis couchée à 23h après avoir écouté le concert donné dans l’abbatiale et dégusté quelques bières locales avec mes amis), la montée se fait facilement et j’éprouve une certaine fierté d’avoir devancé mes compagnons de marche.
Marcher à plusieurs implique certains changements dans ses habitudes car jusqu’à présent j’ai souvent marché seule.
Seule, on peut s’arrêter pour se reposer, faire une pause technique sans le claironner autour de soi, écouter de la musique et chanter à tue tête, s’émerveiller devant un paysage et faire des tas de photos, mais c’est aussi très agréable de partager le chemin avec d’autres personnes; les conversations vont bon train, on se stimule mutuellement lorsqu’un coup de fatigue arrive, on partage ses émotions, on rit, parfois on pleure, et de véritables échanges s’installent; même si il y a de longs moments de silence permettant alors d’être plus attentive à l’environnement. Mais il est indispensable de faire les deux car ce sont deux voyages différents, il y a le plaisir du partage dans un voyage accompagné et le plaisir de la liberté dans un voyage en solitaire.
Les derniers kilomètres sont très pénibles, nous avons décidé d’emprunter la petite route départementale D580 qui longe les crêtes au lieu de descendre sur Decazeville pour aussitôt remonter ... Interminable cette route, en rase campagne, sous un soleil de plomb avec des températures extrêmes frôlant les 30°C; du bitume qui colle sous nos semelles, ça monte, ça descend sans arrêt, aucun point d’eau pour se désaltérer. Heureusement, nous améliorons l'ordinaire du Pèlerin avec des mûres, des prunes, des figues ramassées sur le bord du chemin.
Après cette interminable traversée d’ Agnac, un village qui nous semblait prometteur pour trouver un bar, mais inexistant, nous arrivons assoiffés à l’église Saint Roch où une fontaine nous permet de boire de l’eau fraîche et d’atteindre sereinement notre ultime étape: Livinhac-le-Haut. Nous finissons le dernier kilomètre dans une forêt sur un chemin assez pentu pour enfin apercevoir le Lot coulant au pied de Livinhac-le-Haut. Nous n’avons plus qu’a traverser le pont et nous sommes arrivés, enfin, quelle dure journée!
Un cap est franchi, je viens d’atteindre un nouveau département (le 4ème depuis mon départ): le Lot après avoir traversé la Haute Loire, la Lozère et l’Aveyron
137 Km parcourues depuis Aumont
SAMEDI 22 AOUT: LIVINHAC- FIGEAC
ÉTAPE DE 26KM
Mon intention du jour: Lâcher-prise ! Abandonner toutes mes certitudes et me laisser aspirer par le chemin qui me guidera
Il y a eu un gros orage cette nuit qui a rafraîchi l’atmosphère mais qui a aussi provoque beaucoup de dégâts dans la région. Les jours passent, les kilomètres défilent et les paysages changent. Ce quotidien, rythmé par le rituel du Pèlerin est fantastique et c’est un réel bonheur de se lever le matin, d’essayer d’ignorer les douleurs et de partir vers de nouvelles aventures. Mais quand même, j’ai un peu mal partout, aux genoux, aux talons d’Achille, aux épaules… mais les huiles essentielles et l’arnica ont le dernier mot.
L’étape du jour se passe nettement plus sur le goudron que sur des sentiers, comme il est souvent l’usage sur le Chemin de Compostelle, mais elle est parsemée de jolis villages, agrémentés de leurs petites églises, une aubaine pour le pèlerin qui peut y trouver un peu de fraicheur, de repos et pour certains un peu de recueillement.
La croix des 3 évêques: Les trois communes limitrophes, Montredon pour le Lot, Montmurat pour le Cantal et Livinhac pour l’Aveyron, se décidèrent à refaire en pierre de grès l’original, un temps déraciné sur d’autres terres. Aujourd’hui, la croix se dresse fièrement entre ciel et terre, mais dommage, juste en face il y a un énorme pylône électrique
On se rapproche de Figeac. Au détour des chemin se dressent des petites tours curieuses. Il existe des dizaines de termes pour désigner ces cabanes de pierre sèche. Ici, dans le Lot, on leur donne le plus souvent le non de “caselles”. Celui de “gariotte”, même s’il est le plus prisé, n’est utilisé que dans les alentours de Cahors.
Ces abris, quel que soit leur nom, n’ont guère plus de deux siècles. L’épierrage des terres était une pratique nécessaire pour ne pas gêner les cultures. On récoltait les pierres pour laisser respirer la terre et ne pas gêner les cultures, on les entassait puis on fabriquait ces “caselles”, qui servaient à abriter les bergers dans le mauvais temps et à ranger les outils. Aujourd’hui laissées à l’abandon, elles font l’objet de nombreux projets de sauvegarde locaux. La descente pour arriver à Figeac est interminable, pentue, bitumeuse et longue, mais la perspective de retrouver Antoine, mon fils, qui va me rejoindre ce soir, me fait oublier la fatigue et me donne du courage.
Figeac, classée ville d’art et d’histoire est aussi la ville de Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes et sa maison natale a été transformée en musée. Tout près du musée, enchâssée dans des bâtiments médiévaux, se loge la Place des Écritures avec une immense reproduction de la pierre de Rosette, sculptée dans du granit noir du Zimbabwe.
La vieille ville a gardé son plan et ses ruelles tortueuses du Moyen Âge et on peut y voir de nombreuses maisons anciennes dont certaines possèdent encore un solheio, une sorte de grenier à ciel ouvert, utilisés pour sécher les peaux ou pour conserver les aliments
166 Km parcourues depuis Aumont
DIMANCHE 23 AOUT: FIGEAC- BRENGUES
ÉTAPE DE 30KM
Mon intention du jour: Définir mes priorités afin que mon énergie se focalise sur ce qui est essentiel et que je puisse ainsi atteindre mes rêves
Depuis Figeac, plusieurs voies sont possibles: le chemin principal, le GR 65, ou la variante GR 651, dite la voie du Célé, plus sauvage et plus “sportive”, il y a également une troisième possibilité: la voie de Rocamadour.
Bien sur, je choisis la version plus sportive car c’est un chemin qui offre des vues imprenables mais c’est aussi un chemin plus difficile car on n’arrête pas de monter ou descendre au gré des villages rencontrés (les villages sont en bordure du Célé, mais le chemin est sur les crêtes car le long du Celé, ce sont des terres agricoles peu ou pas du tout accessibles aux pèlerins. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y aucun chemin de halage sur le Célé).
Pauvre Antoine, à peine arrivé, je lui impose des étapes de 30Km et des réveils aux aurores, d’autant plus que la nuit a été courte car nous nous sommes retrouvés dans un bar pour fêter son arrivée (ce qui l’a énormément touché car tout le monde l’a accueilli chaleureusement comme si c’était une vieille connaissance) mais aussi le départ de certaines personnes qui s’arrêtaient à Figeac.
La sortie de Figeac se fait par une montée assez raide, dur pour les mollets du parisien tout juste arrivé et équipé pour une promenade dominicale! mais heureusement, Antoine s’est déjà fait un copain, un mignon petit chat tacheté qui le suivra sur plusieurs kilomètres, comme pour lui donner du courage. Rapidement une pause s’impose dans ce charmant village de Faycelles où nous retrouverons d’autres pèlerins
Le début de l’étape suit les rives du Célé et alternent petits hameaux qui abritent les maisons agricoles mais aussi des pépites architecturales, magnifiquement rénovées ou des vieilles bâtisses laissées à l’abandon, et des champs de mais s’étendant sur plusieurs kilomètres.
Après avoir traversé des champs de mais à n’en pas finir, nous abordons le plateau en pénétrant dans une magnifique forêt, digne d’accueillir des elfes et des êtres invisibles. Les arbres sont complètement recouverts de mousse et il règne dans cette forêt un ambiance très mystérieuse.
Puis, lové au creux d'un méandre du Célé, Espagnac Sainte-Eulalie nous apparait. C’est un petit village qui abrite un ancien prieuré magnifiquement conservé. Ce bourg aurait été une halte privilégié car il abrite un gîte d"étape accueillant les pèlerins, mais malheureusement il était complet et nous devrons encore faire 4 Km pour arriver à notre gîte situé à Brengues. La fatigue commence à se faire sentir avec ces alternances de montée et de descente mais nos efforts sont récompensés par la beauté des paysages.
Les fontaines du Causse, situées sur le Causse où l’eau est rare, sont 2 fontaines qui ont des fonctions différentes. La première, recouverte d’une voûte de pierre servait par sa proximité avec le village voisin, de moyen de ravitaillement en eau potable. La seconde, qui bénéficie d’un plus grand débit, fut aménagée à la fois en abreuvoir pour les troupeaux et en lavoir par la construction d’un bassin de retenue.
196 Km parcourues depuis Aumont
LUNDI 24 AOUT: BRENGUES- CARBRERETS
ÉTAPE DE 30KM
Mon intention du jour: M’accepter telle que je suis et être en paix avec moi même
Départ aux aurores là encore pour éviter les fortes chaleurs avec une première pause café dans le magnifique village de Marcilhac-sur-Célé. Organisé autour de son abbaye et de son église, ce village respire la tranquillité et baigne dans la fraîcheur des rives du Célé. Il paraît bien minuscule à côté de ces grandes falaises de calcaire qui l’entourent.
Mais qui dit vallée du Célé, dit montée et descente entre les crêtes et la vallée; certes la vue est magnifique, mais elle se paye! on n’arrête pas de grimper sur le Causse, situé 150m au-dessus des gorges pour ensuite redescendre sur les rives du Célé
L’itinéraire se poursuit entre falaises et maisons troglodytes, maisons construites non pas dans la falaise, mais accolées à celle ci, la falaise faisant office de 4ème mur.
Et enfin, le village des Carbrerets se profile à l’horizon, nous voilà arrivés!
Le programme ne change guère: Une bière, une douche, une séance de yoga, une lessive, un rapide tour dans le village pour moi et une sieste pour Antoine, un excellent repas au restaurant du gîte et dodo pour un repos bien mérité.
226 Km parcourues depuis Aumont
MARDI 25 AOUT: CARBRERETS- BACH
ÉTAPE DE 27KM
Mon intention du jour: Laisser la puissance de la nature transformer mes tensions en une force apaisante
Nous retrouvons notre compagnon de marche, Philippe, à son gîte pour prendre le petit déjeuner ensembles et nous voilà repartis pour une étape qui nous fera quitter la Voie de Célé car même si les paysages sont magnifiques, nous sommes un peu déçus par l’ambiance qui règne sur ce chemin. Nous ne retrouvons pas l’âme du chemin: nous sommes sur un chemin de randonnée avec des randonneurs et non sur un chemin de pèlerinage. Nous décidons donc de rejoindre le GR 65 à Bach.
Première pépite sur notre étape: le chemin de halage de Bouziés
A Bouziès, nous optons pour le raccourci nous faisant passer sur l’ancienne voie de chemin de fer qui reliait Figeac à Cahors, pour rejoindre le chemin de halage taillé à même la roche dans la falaise. A la moitié du chemin, des formes mystérieuses sont gravées sur la paroi, on dirait des gouttes d’eau, est ce la nature qui a œuvrée ou est ce l’œuvre d’un artiste? Eh bien, il s’agit d’une œuvre sculptée de Daniel Monnier.
Puis nous continuons à suivre les berges du Lot pour atteindre Saint-Cirq-Lapopie, un joli petit village médiéval perché sur un éperon rocheux, qui surplombe le Lot.
Ce village a été élu le plus beau village de France (encore un) et le 1er village préféré des français: Saint-Cirq-Lapopie avec son église gothique, son fort, ses ruelles médiévales, malheureusement envahies d’échoppes et de boutiques pour touristes. Et ce village, victime de son succès médiatique a perdu son âme et son authenticité. Dommage… pour moi ce n’est pas le plus beau village que j’ai pu traverser.
La dernière heure est toujours interminable. Ce n’est pas une question de fatigue c’est juste qu’on se croit arrivé mais ce n’est pas du tout le cas. Les dernières kilomètres sont les plus longs ça sent l’arrivée mais ce n’est pas encore l’arrivée! Nous retrouverons d’autres pèlerins que nous avions déjà croisé et après une pause boisson, une douche, une partie de pétanque, les réservations faites pour les jours suivants, nous partagerons ensemble le repas, même pas besoin de faire la lessive, Nicolas, notre hôte, s’en charge; quel luxe!
253 Km parcourues depuis Aumont
MERCREDI 26 AOUT: BACH- CAHORS
ÉTAPE DE 27KM
Mon intention du jour: me réveiller dans la joie sans penser à mes courbatures et me plaindre mais au contraire m’émerveiller de cette nouvelle journée qui commence et qui me réserve surement de belles surprises
Nous quittons notre charmant hôte, Nicolas, après avoir récupéré notre linge propre et soigneusement plié, pris un petit déjeuner pantagruélique, et emporté les restes de la veille qu’il a tenu à nous donner pour notre pique nique, nous précisant bien de faire attention à ce que son chien ne sorte pas en même temps que nous car il adore suivre les pèlerins.
Malgré nos précautions, on s’aperçoit au bout d’un kilomètre que le chien a réussi à nous suivre et qu’il est impossible de le faire repartir vers sa maison, il veut continuer le chemin avec nous! Je décide donc de le ramener en faisant demi tour, histoire de faire quelques km de plus!
Puis nous repartons en direction de Cahors pour faire la traversée du plateau dénudé du causse de Limogne. Étape monotone, ce n’est pas que ça ne soit pas joli, mais c’est toujours pareil: de larges chemins bordés de murets et agencés en grandes sections rectilignes qui franchissent un relief sans énergie avec de petits arbustes et du maquis à droite et à gauche qui cache le paysage. En fait, d’après le guide, c’est une ancienne voie romaine. L’avantage c’est d’être souvent à l’ombre et d’être protégé de la chaleur.
Parfois, ce paysage est interrompu par des prairies, des “caselles” tantôt complètement en ruine et tantôt bien entretenues, on y voit aussi de nombreuses croix protectrices évoquant la dévotion locale et rappelant le passage des marcheurs qui déposent des cailloux sur leurs socles. Et sur la fin, plein de chemins qui partent dans tous les sens et on ne sait jamais vraiment si on a pris le bon. Ce ne sera pas la plus belle étape de mon parcours, ce qui explique le peu de photos prises ce jour! Je marche seule un bon moment.
A un moment, le chemin passe au dessus de l’autoroute, et ce retour à la civilisation est un peu brutal mais il me rassure aussi car je sais qu’à partir de ce point il ne me reste plus que 10Km même s’il me faudra encore au moins 2h pour les franchir.
Antoine est parti loin devant et j’ai perdu mes compagnons de marche. Avant d’entamer la descente sur Cahors, je m’octroie une petite pause à l’ombre auprès de pèlerins déjà installés. Ils m’apprendront qu’Antoine est passé depuis un bon moment, ( C’est ça le chemin, tout le monde se connait de vue même si on s’est à peine croisé et tout le monde est attentif aux autres) il a pris une grande avance sur moi et je ne le retrouverai qu’une fois arrivée à Cahors.
La descente sur Cahors est assez dangereuse, caillouteuse, raide et glissante mais au loin se dessine la silhouette médiévale du Pont Valentré, emblème de la ville, c’est par là que je passerai demain pour continuer ma route.
Petite visite de la ville avec la Cathédrale Saint Étienne, inscrite au patrimoine de l’Unesco, (comme le pont Valentré), elle a été construite au XIIème et elle est rendue célèbre par ses deux coupoles et sa façade qui semble fortifiée. A l’intérieur, le cloitre invite au recueillement mais je n’ai pas le temps, je souhaite visiter la vieille ville et je dois aller faire un ravitaillement pour demain et ensuite me reposer un peu. Que les journées sont chargées !!
280 Km parcourues depuis Aumont
JEUDI 27 AOUT: CAHORS- LASCABANES
ÉTAPE DE 23KM
Mon intention du jour: considérer chaque situation difficile comme une chance de grandir et l’accueillir positivement en l’acceptant plutôt que de la rejeter
Nous quittons Cahors en franchissant une dernière fois le Lot sur le fameux pont Valentré. (Il aura fallu 70 ans pour le construire. Tout cela, selon la légende, à cause du pacte passé entre le diable et l’architecte qui retardait la pose de la dernière pierre. Lors de la restauration du pont, cette dernière pierre a été posée à l’angle d’une tour avec un petit diable sculpté)
Dès le passage du pont, ça monte tout de suite très sec; à tel point qu’il a fallu faire des escaliers pour absorber le dénivelé, dure épreuve pour les genoux.
L’étape est un longue balade sur le causse, tantôt sur des chemins, tantôt le long de routes. Nous sommes dans le Quercy blanc, qui doit son nom à son sol calcaire et par conséquent très blanc et très réfléchissant rendant la chaleur étouffante. Les cultures de mais ont laissé la place aux champs de tournesols tout secs et tout tristes du fait du manque d’eau.
De belles rencontres au gîte où nous faisons, entre autre, la connaissance d’un couple d’allemands partis de chez eux depuis plusieurs mois et ayant déjà effectué une dizaine de pélérinages
303 Km parcourues depuis Aumont
VENDREDI 28 AOUT: LASCABANES- LAUZERTE
ÉTAPE DE 23 KM
Mon intention du jour: Être heureuse car le bonheur est un état d’esprit qu’il faut sans cesse cultiver dans son jardin secret
Le soleil a laissé sa place à un temps très pluvieux, aujourd’hui il va surement falloir sortir la cape de pluie
En chemin nous passons devant une petite chapelle, la chapelle de St Jean Le Froid qui a été restaurée récemment. Pendant des siècles, les gens venaient ici pour se frictionner ou boire l’eau d’une source proche. Les rhumatismes, disait-on, disparaissaient comme par enchantement. Peut-être que je devrais moi aussi essayer pour soulager mes douleurs!
A peine passée la chapelle, un violent orage éclate et en quelques minutes nous sommes complètement trempés, mais cape ou pas cape il n’y a aucune différence, soit tu es trempée par la pluie soit tu es trempée par la transpiration car dessous, c’est un véritable sauna! La pluie nous cinglant le visage, nous avons raté une balise et avons du faire un détour de 2km pour retrouver le chemin, voilà ce qui arrive quand on n’est plus concentré!. Antoine et moi décidons de faire la pause déjeuner à Montcuq car selon les prévisions il devrait s’arrêter de pleuvoir au bout d’une heure, cela nous permettra de sécher un peu.
La tentation était trop grande, même si tout le monde l’a faite, je ne peux pas m’empêcher de faire la traditionnelle photo à l’entrée de Montcuq; mais attention, il faut prononcer le Q final.
Puis le chemin se poursuit au milieu des champs de tournesol, et je me dis qu’au printemps, ça doit être magnifique . Cependant une question me turlupine, la tête des tournesols suit elle le soleil ou est ce un mythe? Je n’aurai pas la réponse car personne n’est d’accord sur ce sujet.
Mon étape se termine à Lauzerte mais pour atteindre ce village médiéval il va encore falloir monter cette colline que je vois au loin et qui domine la plaine.
J’ai hâte d’arriver, il s’est remis à pleuvoir, j’ai froid, j’ai les épaules meurtries, les pieds trempés qui font floc floc dans les chaussures, le moral qui dégringole; bref j’en ai marre!! Même si Lauzerte est un très beau village, je zapperai sa visite et préférerai me reposer pour récupérer, parfois il faut savoir lâcher prise!
326 Km parcourues depuis Aumont
SAMEDI 29 AOUT: LAUZERTE- MOISSAC
ÉTAPE DE 33 KM
Mon intention du jour: Donner aux autres ce que je souhaite recevoir, un sourire, de douces pensées, du temps, de l’écoute, de la compréhension, et comme on dit, on récolte ce que l’on sème
On sent que la fin de l’été approche, les nuits sont plus fraîches et les jours raccourcissent, dorénavant, il fait nuit à l’heure où je partais habituellement donc je décale un peu mes horaires pour partir à l’aube naissante.
Une bonne nuit de sommeil m’a permis de récupérer et me voilà partie pour de nouvelles aventures, aujourd’hui destination Moissac. Le chemin est une suite de montée et de descente et la campagne est très belle, on se croirait en Toscane avec ces douces collines, coiffées de cyprès et de petits villages pointant fièrement leurs églises . Éparpillés au milieu de la campagne, on peut voir aussi de superbes mas, entourés de champs offrant un dégradé de couleurs avec la géométrie des champs travaillés par ces artistes de la terre: nos agriculteurs, sans qui tout cela n’existerait pas.
Le chemin passe parfois en sous bois mais le plus souvent dans les champs cultivés de céréales et d’oléagineux et des vergers où poussent les vignes de Chasselas, les pruniers, les pommiers, les poiriers, les abricotiers… Et là, je me dis que ça doit être extraordinaire au printemps lorsque tous arbres fruitiers sont en fleur et que les tournesols brillent de mille feux !
Ce paysage agricole s’étend à perte de vue, et on peut dire merci à tous ces agriculteurs qui modèlent nos paysages et nous offrent de bons produits, fruit de leurs travaux incessants
Au lieu-dit Le Charton se dresse un très beau pigeonnier surélevé pour protéger des rongeurs. Ces édifices, rectangulaires ou polygonaux, comprenant parfois plusieurs étages, sont nombreux dans la région. On dit qu’il y a fort longtemps, la construction de ces tours étaient règlementée à l’usage des nobles, puis elle s’est démocratisée. Certes, on élevait du pigeon pour sa chair et pour l’engrais tiré des excréments, mais cela présentait surtout l’avantage de souligner le prestige des propriétaires.
La tranquille chapelle de St Sernin du Bosc est nichée dans un vallon au joli nom de Combe du Miel. Cette chapelle romane est remarquable, avec son double clocher. Les croix qui recueillent les oboles symboliques des pèlerins ajoutent toujours une part de mystique à ces lieux de culte, un peu comme les pierres des temples japonais. La chapelle est classée monument historique. On y entre aujourd’hui côté cimetière.
Comme d’habitude la dernière heure est souvent la plus pénible, et l’arrivée sur Moissac parait interminable car sur une longue portion de route, il faut longer la banlieue, puis traverser la zone industrielle le long de la nationale, puis traverser de nombreux rond points avec le ballet incessant des voitures, des camions, pour enfin entrer dans la ville, envahie de touristes. C’est vraiment brutal de quitter le calme, la beauté sauvage de la nature et de se retrouver dans le bruit, la foule, le va et vient des voitures, les odeurs de la ville (et c’est là que l’on se rend compte que l’air des villes est vraiment pollué et qu’il sent mauvais) et on ne souhaite qu’une chose: repartir.
Mon gîte, l’ancien carmel domine la ville, il faut encore grimper!! mais la récompense est à la hauteur des derniers efforts. Pour une fois, je suis arrivée la première, je profite de la quiétude du lieu, ensuite j’irai visiter la ville lorsque Antoine et Philippe seront arrivés.
Moissac est célèbre pour son abbatiale et son cloitre.
Le cloître est un des plus grands et mieux conservés de l’époque romane. Il est célèbre pour la variété et la richesse de ses colonnettes de marbre et ses chapiteaux sculptés, tous différents, illustrant la Genèse, l’Enfance du Christ, ainsi que de nombreux thèmes floraux ou animaux. La beauté se cache aussi dans les détails… oiseaux entrelacés, palmettes, rosaces et végétaux dont la profusion et la diversité contribuent à créer un ensemble harmonieux. Mais ce chef d’œuvre architectural a bien failli disparaitre lorsque les promoteurs de la ligne Bordeaux-Sète ont voulu raser le cloître pour permettre le passage du chemin de fer. Finalement, grâce à la mobilisation des habitants, ce site a été sauvé et seul le réfectoire et la cuisine ont été détruits.
L’abbatiale est célèbre pour son tympan remarquablement préservé et qui représente une scène de l’apocalypse , mais après avoir vu celui de Conques, nous sommes devenus un peu difficiles à satisfaire !L’intérieur de l’église est
359 Km parcourues depuis Aumont
DIMANCHE 30 AOUT: MOISSAC- FLAMARENS
ÉTAPE DE 30 KM
Mon intention du jour: Même si je n’en peux plus, je dédierai ces derniers km à tous ceux qui n’ont plus la capacité physique de le faire, et ceux qui rêveraient d’être à ma place et ne le peuvent
Pour rejoindre Auvillar (encore le plus beau village de France!!) depuis Moissac, il y a 2 options: suivre le chemin de halage plat et assez monotone ou emprunter le chemin des crêtes, plus long, plus physique, promettant une magnifique vue sur le confluent du Tarn et de la Garonne. Vu la longueur de l’étape, nous préférons la facilité en longeant le canal des deux mers sur l’ancienne voie de halage qui sert également de piste cyclable. Nous croisons et doublons quelques pèlerins mais la majorité d’entre eux est restée à Moissac pour assister à la messe retransmise en direct à la télévision au cours de laquelle l’évêque fera une bénédiction aux pèlerins présents. Ce chemin n’est pas excessivement varié mais ça reste agréable et surtout c’est plat. Côté paysage, la Garonne, majestueuse mais aussi les monstrueuses tours de la centrale nucléaire de Golfech . Monstrueuses car ce site à deux réacteurs nucléaires, possède les tours de réfrigération les plus hautes d’Europe, culminant à 170 mètres de hauteur, crachant un épais nuage de vapeur d’eau et défigurant le paysage.
Auvillar, un charmant village médiéval, unique, avec sa halle circulaire, ses vieilles maisons en brique rose, ses arcades, son ancien port, sa tour de l’horloge et sa terrasse avec une vue magnifique sur la Garonne, est le lieu idéal pour le pique nique.
Les kilomètres défilent sous nos pas, les paysages nous offrent des palettes de couleur magnifiques, les villages, quelque soit leur taille, nous dévoilent leurs charmantes petites églises et leurs cimetières qui nous aliment en eau; notre petit groupe avance bon train. Antoine a pris les devants, besoin d’être seul certainement.
Ce soir, nous avons réservé une chambre au gîte du château de Flamarens et quelle ne fut pas notre surprise en découvrant que nous dormirons réellement dans le château et non dans une dépendance comme nous l’avions imaginé. Une vraie de vie de châtelain et châtelaine pour une soirée avec une vraie salle de bains, une vraie baignoire, une vraie et immense chambre , des vrais draps et le propriétaire, un vrai châtelain, passionné d’art qui nous racontera l’histoire de ce château. En juin 1943 un incendie provoqué par la foudre avait complètement détruit les toitures du château et en 1983, le père de l’actuel propriétaire a acheté ce château et a consacré toute sa retraite à sa restauration.
389 Km parcourues depuis Aumont
LUNDI 31 AOUT: FLAMARENS- LECTOURE
ÉTAPE DE 30KM
Mon intention du jour: Remercier la vie de de tout ce qu’elle m’a offert et me libérer du poids du passé sans me projeter vers le futur, être tout simplement ici et maintenant
Aujourd’hui, étape finale caractérisée au réveil par un terrible vague à l’âme et des émotions complètement contradictoires qui se bousculent dans ma tête; à la fois une grande tristesse à l’idée de m’arrêter et de laisser mes amis continuer sans moi (j’aurais tellement aimé finir le chemin avec eux) et paradoxalement de la joie à l’idée de retrouver Philippe, mon mari et là c’est le vrai (et non le Philippe rencontré sur le chemin avec qui nous avons partagé des moments inoubliables) . Je ferme donc mon sac pour la énième fois, rituel quotidien durant 16 jours, où j’ai appris à mettre mes affaires toujours à la même place afin de bien répartir le poids, à vérifier qu’il ne me manque rien, moi la tête en l’air qui ai tendance à oublier mes affaires, à mettre en route le GPS du parcours pour être sure que je ne me trompe pas d’itinéraire, à remplir la gourde, à mettre la crème solaire ou laisser à portée de la main la cape de pluie (qui en fait n’aura pratiquement pas servi) , à resserrer les lacets, à remettre les batteries chargées de l’appareil photo et à jeter un dernier coup d’œil à l’endroit où j’ai passé la nuit et en général une très bonne soirée et voilà c’est bon, on peut y aller
Le paysage est très agricole, très vallonné avec un patchwork de couleurs entre les champs labourés, et les champs encore en culture, les petits hameaux au sommet des collines … J’aime beaucoup et je marche lentement pour profiter au maximum de ces derniers instants. J’ai besoin de finir cette étape seule, les mots ne seront pas assez forts pour exprimer ce que je ressens et je n’ai pas envie de partager ces émotions contradictoires
Et voilà, c’est fini, arrivée sur Lectoure où Philippe m’attend pour le verre de l’adieu avant de continuer son chemin. Il arrivera comme prévu à Santiago puis Finistera le 16 Octobre (parti de chez lui fin Juillet, en tout 2 mois 1/2 sur le chemin)
Au réveil, le lendemain matin, je ne peux pas m’empêcher d’accompagner Antoine et Julien sur le début du chemin. Je suis contente pour eux qu’ils puissent continuer, quand à moi, je prendrai le bus, puis le train, puis le métro, puis la voiture pour rentrer à la maison. Quel décalage, et dans 2 jours, je serai au travail, la reprise va être difficile.
Au retour, dans le bus, je vois défiler les panneaux indicateurs de tous ces villages que j’ai traversé à pied et ça me semble tellement irréel d’avoir pu parcourir une telle distance. Le cœur lourd et léger dans ce bus, les semaines passées défilent dans ma tête avec ces bons souvenirs et ces moments parfois difficiles, mais je sais que l’année prochaine je ferai le même trajet en sens inverse pour reprendre la route depuis Lectoure et atteindre mon but final
Merci à toutes les personnes que j’ai pu croiser et qui, par leurs sourires, leurs paroles, leurs bienveillances ont contribué à l’embellissement de mon palais intérieur
en avant, route ! Comme dit la chanson des pèlerins :
Tous les matins nous prenons le chemin,
tous les matins nous allons plus loin,
jour après jour la route nous appelle,
c’est la voix de Compostelle !
Ultreïa ! Ultreïa ! E sus eia ! Deus adjuva nos !
420 Km parcourues depuis Aumont